DUOJulie Favreau & Effy Vayena

OBTENIR LE MEILLEUR DE MOI : ÊTRE SOI-MÊME DANS LE MONDE DES MÉGADONNÉES – Effy Vayena –

Les dispositifs et les systèmes qui captent continuellement nos données peuplent le monde dans lequel nous vivons. Ces pratiques basées sur les données le font au nom de l’efficacité et de l’amélioration des tâches quotidiennes banales, des rituels de sommeil, des habitudes de prises de décisions, de nos relations et de nous-mêmes comme un ensemble.
Un exemple éclairant est celui du domaine du « bien-être », composé de multiples applications et services basés sur l’IA. Dans ce contexte, la captation de données omniprésente et les systèmes de traitement affirment nous dire qui nous sommes, tout en alimentant et construisant un impératif d’amélioration.
Je soutiens qu’une promotion débridée d’un impératif non étudié pour un « meilleur soi » vient avec le prix de la vie privée, au détriment de notre concentration limitée et force, au final, la délégation de notre action. Si cela est juste, la question devrait être : qui s’améliore, à quoi et pourquoi?

Julie Favreau
This Thing, 2019
Vidéo 4K transféré en HD, acrylique
3 min. 9 sec.
Avec Helga Wretman
CGI (animation par ordinateur) : Malte Zander
Cameraman et assistant à la production : Max Hilsamer
Son : Lukas Grundman

Parmi les développements technologiques en cours dans le domaine de la santé, les occurrences de l’IA sont plus nombreuses et plus diversifiées que jamais. Celles-ci peuvent prendre la forme d’applications informatiques vouées à l’amélioration des conditions physiques ou à la justesse des diagnostics autant que de dispositifs ou d’appareils agissant comme de petits agents de santé qui se jouxtent au corps en permanence ou seront, selon toutes probabilités, intégrées dans nos tissus dans un avenir rapproché. Partant de ces nouvelles réalités, l’installation vidéo This Thing de Julie Favreau met en scène une jeune femme dans un champ isolé, non loin d’une forêt que l’on devine luxuriante, mais qui dénote une part d’inconnu. Seule et silencieuse, la protagoniste engage un dialogue inattendu avec un objet de nature indéterminée : une chose. De couleur chair, l’entité semble douée d’une autonomie singulière et se meut
dans les airs autour de cette femme anonyme, répondant par moments à ses gestes et, possiblement, à ses pensées. Sa fonction est incertaine, mais paraît indissociable d’une négociation avec le corps humain, plus spécifiquement en ce qui relève du registre sensoriel et de ses déclinaisons synesthésiques, parfois même érotiques. S’agit-il d’une extension physique de la jeune femme visant son bien-être, d’un appareil sophistiqué cherchant à la manipuler, ou encore une nouvelle forme de vie qui cohabite désormais avec les humains? En considérant l’omniprésence des nouvelles technologies et leur façon d’habiter nos espaces tant physiques que mentaux, Favreau transpose les principes d’ubiquité et d’omniscience divines à ces dispositifs qui affectent désormais notre bien-être individuel et collectif. Ce déplacement à consonance spirituelle, que signale déjà l’environnement naturel, apparaît plus clairement dans l’évolution de l’objet vivant qui, au fil des mouvements circulaires de la caméra, change de forme, se ramollit pour finalement se rapprocher d’un état de transparence et de liquéfaction. Les lignes abstraites et aériennes des dessins qui complètent l’installation permettent quant à elles d’imaginer une cartographie spatiale et mentale de cet être.